Covid-19 « Le continuum sécurité n’a jamais existé ! »
Driss Aït Youssef, Docteur en droit public et président de l’Institut Léonard de Vinci, dresse un tableau sans concession des relations entre l’État et le monde de la sécurité privée. Ames sensibles s’abstenir…
« D’aucuns considèrent que la crise du Covid-19 aura des conséquences néfastes sur le fameux continuum sécurité. C’est à mon sens une vue de l’esprit car ce projet de continuité n’a jamais réellement existé car il n’y a jamais vraiment eu de concertation réelle entre les pouvoirs publics et les acteurs de la sécurité privée. Le continuum se matérialise tout au plus comme un transfert de charges du public vers le privé et quelque fois même sans grande concertation.
C’est toujours l’État qui, conscient de son incapacité à assumer certaines de ses missions, décide, souvent de manière unilatérale de les confier au secteur privé. Ce fut le cas pour la sûreté aéroportuaire, la protection maritime, ou plus récemment encore l’activité de gardes armés…
Le continuum au sens noble du terme ne s’est donc jamais réellement matérialisé. Pour être tout à fait honnête, je crains que les professionnels de la sécurité privée ne fondent trop d’espoir sur un terme qui relève davantage d’un mirage plutôt que d’une vision stratégique et organisée de l’État. Pour preuve, les missions récemment confiées au secteur privée l’ont été dans des conditions discutables et à maintes reprises contre la volonté de certains acteurs.
Un manque de confiance
Pourquoi cela ? Tout simplement parce que, et la crise du Covid-19 vient de le montrer, l’État ne fait pas totalement confiance à la sécurité privée malgré les efforts de cette dernière en se professionnalisant et faisant le ménage dans ses rangs afin de devenir un partenaire crédible et incontournable.
Un exemple parlant de ce manque de confiance ? Le cas de la sécurité maritime. L’État, la Marine nationale en l’occurrence, a vite compris, il y a quelques années, qu’il ne pouvait pas assurer la sécurité des navires marchands battant pavillon français. Il a donc décidé de déléguer cette mission à la sécurité privée. Mais qu’a-t-il fait ? Il a tellement contraint ce marché, défini des règles extrêmement strictes, que cette opportunité économique est vite devenue inaccessible pour les entreprises françaises… Cette règlementation un peu excessive même si elle a parfois du sens s’est reproduite après les attentats de 2015 avec les activités de garde armée et de protection physique armé de personne.
En conclusion, nous ne sommes toujours pas sorti de la logique de la loi de 1983 qui fut une loi de défiance au secteur…
La sécurité privée ne facilite pas le travail à l’État…
Est-ce que cela pourra changer à terme ? Dans l’immédiat, je n’en suis pas certain. Il faut préalablement que l’État définisse une doctrine d’emploi de la sécurité. Préalablement, le politique doit poser un nouveau débat sur les rôles de la police et de la gendarmerie nationales pour définir ensuite le type de collaboration avec la sécurité privée. Il faudra donc un vrai dialogue sur les missions possibles, les pouvoirs, la formation, les salaires, la réglementation, la déontologie… Un très beau chantier en perspective. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le continuum s’imposera aux acheteurs pour valoriser une prestation de sécurité au bon tarif. Je reste étonné par la capacité du gouvernement à produire un décret pour fixer le prix d’un gel hydro-alcoolique et pas le tarif horaire d’un agent de sécurité.
Enfin, pour installer une vraie relation de confiance entre l’État et le secteur, il faut lui opposer un groupement professionnel unique, crédible et représentatif d’une filière apaisée faisant litière des querelles de personnes. Il est donc urgent se sortir de cette relation bricolée entre l’État et la sécurité privée. A défaut, c’est le CNAPS qui se substituera comme c’est un peu le cas aujourd’hui aux organisations pour le représenter auprès des pouvoirs publics. »